Conversation autour de « l’intelligence collective »

Conversation autour de « l’intelligence collective »

Publié le 26/05/2015
Par Stéphane Gallaud

Les fractales J : « Regardez les bancs de poissons, doués d’un même mouvement. Observez l’organisation des abeilles ! L’intelligence collective en œuvre, avec sa grande efficacité, basée sur la solidarité et l’organisation du travail pour maintenir et développer le « bien commun ». Est-elle comparable au travail collaboratif du groupe humain ? » B : « L’homme, à l’inverse des poissons ou insectes sociaux, n’est pas mu uniquement par l’instinct. Son système nerveux est différencié et le poids de son expérience et son héritage social conditionnent ses capacités à se relier pleinement aux autres. Pourtant mis en situation groupale, il développe souvent de la créativité, invente de nouvelles perspectives et élargit le champ des possibles. » E : « W.R. Bion (1961), psychiatre militaire anglais, postule, à travers de nombreuses expérimentations menées en vue de la réadaptation à la vie civile de groupes de vétérans et d’anciens prisonniers de guerre que des processus psychiques secondaires assurent une conduite rationnelle collective. Définis par Freud par la perception, la mémoire, le jugement et le raisonnement, ils permettent au groupe d’organiser rationnellement et consciemment la réalisation d’une tâche. D’autre part, il précise que dans un groupe livré à lui-même, des processus psychiques primaires apparaissent. Une circulation émotionnelle et fantasmatique inconsciente prédomine, générant chez les participants des comportements soit autodestructeurs, soit coopératifs. Les peurs de perdre son identité du moi, d’être emporté par une force non maîtrisable et inconnue tendant à nous réduire inéluctablement à la réalisation du désir de l’autre, amènent les pulsions négatives au niveau conscient et peuvent engendrer violences et haines ». J : « Quelles conditions favorisent la coopération consciente et constructive des individus en groupe ? » E : « Comme le montre D. Anzieu, « le groupe est une enveloppe qui fait tenir ensemble des individus », enveloppe vivante à double face, l’une protectrice qui régule les échanges vers l’extérieur, l’autre productrice d’une circulation fantasmatique et identificatoire inconsciente qui rend le groupe vivant. Poursuivant le travail de W.R. Bion, il nomme « protomental » le système qui se forme entre les individus qui interagissent en groupe de manière spontanée suivant des états affectifs qu’il appelle des présupposés de base : la dépendance vis-à-vis d’un leader idéalisé bon, fort et responsable, le combat-fuite en l’absence de leader qui permet au groupe de se solidariser ou le couplage qui le morcelle. R. Kaës a posé l’hypothèse d’un organisateur groupal assurant l’équilibre entre les tendances isomorphiques, celles qui tendent à bannir l’individualité au profit du groupe, véritable ciment de celui-ci, et les tendances homomorphiques, qui délimitent un espace dans lequel les rôles et les tâches se différencient. » B : « Le groupe prend ainsi une configuration fractale où d’une part, un attracteur étrange organise le contenant en attirant à lui toutes les trajectoires individuelles et, d’autre part, un espace contribue à la dynamique des divergences, issues des conditions initiales de chaque entité composant le groupe. » E : « Faute d’un attracteur suffisamment puissant, le groupe ne peut se constituer mais sans espaces interindividuels suffisants, les individus le constituant s’étouffent les uns les autres, prélude à la stérilité créative, à l’aliénation et à la destruction. Pour développer toute sa puissance de création et de construction, le groupe a à percevoir sa propre réalité imaginaire interne. De cette prise de conscience, il génère un espace dans lequel chacun peut trouver pleinement sa place, au-delà des rapports amour – haine, peur – désir, égalité – rivalité. L’autre est accepté tel qu’il est, comme source de diversité et accueilli positivement dans sa différence. La coopération se crée dans cette prise, ou élargissement, de conscience, au-delà d’Eros et Thanatos ». « C’est parce qu’il est sorti de sa famille pour faire l’expérience d’une telle vie de groupe que l’enfant parachève le dépassement du complexe d’Œdipe, l’intériorisation de la loi et la capacité de fonctionner en groupe de travail ». Intelligence collective ? Saut quantique. C’est un chemin qui nous mène au-delà de notre connaissance des choses. Un chemin de conquête sur nous-mêmes, le chemin de l’essentialité. A bientôt Stéphane