Redéployer la responsabilité dans l'entreprise !

Redéployer la responsabilité dans l'entreprise !

Publié le 20/09/2017

redéployer la responsabilité En cette rentrée 2017, il est un moment qui est peut-être passé inaperçu pour nombre de personnes mais qui mérite d’être souligné, c’est le discours de Jean-Dominique SENARD aux universités d’été du MEDEF. Le patron de Michelin interpelle un moment son auditoire sur le rôle des entreprises en France et exhorte les patrons du MEDEF de « redéployer la responsabilisation dans l’entreprise » en rajoutant « Le principe de responsabilisation est probablement un des éléments qui est en train de révolutionner les relations sociales dans l’entreprise […] il s’agit de confier une autonomie aux équipes, des moyens de respirer pour apporter des solutions à l’avenir ». Moment de grâce…voilà donc un des effets de l’Entreprise Libérée qui se retrouve, sans être clairement affirmé comme tel, sur la scène du patronat français, cocasse, non !? nous précisons « sans être clairement affirmé » car le patron de Michelin s’est empressé de rajouter « qu’il ne s’agissait pas d’autogestion »…car il sait bien, lui qui a lancé des initiatives de libération sur ces sites de production, qu’en réalité les deux sujets sont intimement liés mais que la philosophie de l’entreprise libérée fait débat et peut avoir des airs d’autogestion qui ne garantit pas l’engouement de son auditoire ! En tout état de cause, c’est une formidable occasion de continuer à donner de l’écho à cette notion que nous défendons avec force au service des alternatives et innovations managériales dans les entreprises. Le sujet est d’autant plus important en cette période ; propice aux dynamiques collaboratives et autres intelligences collectives qui posent du coup la question de la responsabilité ou plus précisément de savoir si la responsabilité peut être collective ?

La Responsabilité, de quoi parle-t-on ?

Par son origine latine, le mot provient de spontio qui signifie promesse et donnera res-sponsor signifiant « celui qui, par un second échange de parole, cautionne une dette antérieure » … Une seconde promesse en somme. Par son origine grecque, le mot provient de « spondere » signifiant « promettre ». Le mot donnera « re-spondere » qui signifiait « se tenir garant, répondre de… » Dit autrement, la responsabilité est le fait de « répondre de quelque chose ». Alors si la responsabilité correspond au fait de « répondre de », cela veut dire pour l’entreprise que la question est de savoir :

  • Quelle est la question posée par l’entreprise ?
  • Qui pose la question ?
  • Qui doit répondre ?

Aujourd’hui, dans le contexte sociétal actuel, la responsabilité renvoie à une dimension forte que l’on pourrait ériger en vertu : savoir prendre et agir en Homme responsable… Et il faut reconnaitre que nos modèles de société n’encouragent pas toujours dans ce sens. 

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

Ce que Jean-Dominique SENARD dit de façon indirecte aux patrons présents est que leur entreprise souffre de déresponsabilisation aigue et que ce mal est suffisamment répandu pour qu’il puisse se permettre de le dire sans se tromper. Il est vrai, et nous le constatons également dans notre métier, qu’énormément de gens dans l’entreprise n’assument pas toujours ou pleinement leurs responsabilités. Le problème est que l’Entreprise a largement déresponsabilisé ses collaborateurs, au cours des dernières décennies, au profit d’un système hyper contrôlant conduit lui-même par une hypercentralisation. En fait, petit à petit, les salariés se sont vus retirés leurs droits d’agir librement (mais ont vu parallèlement de nouveaux droits dits « sociaux » apparaitre, et c’est très bien mais… la question des Devoirs était aussi sous tendue et parfois n’a pas été abordée pour équilibrer l’émancipation … Et c’est ainsi que nous nous retrouvons avec des centaines voire parfois des milliers de collaborateurs qui n’ont pas le sentiment de pouvoir agir et décider, et donc n’assument pas, plus et se replient pour finalement reconnaitre que c’est assez confortable, même si ce n’est pas épanouissant, de se cacher derrière l’hyper hiérarchisation de l’entreprise pour expliquer pourquoi on ne va pas au bout de ce que l’on fait. Ici se niche la question de l’engagement chère à nos entreprises actuellement. Mais ce phénomène n’est pas éloigné de ce que la société en général a laissé faire au fil des années en augmentant de façon significative la déresponsabilisation. Pour comprendre ce mécanisme, il faut écouter la conférence de Geneviève VINEY sur la notion de « Responsabilité et ses transformations dans le droit français » datant de 2000. Elle explique de façon limpide que les notions de responsabilité civile et pénale sont en équilibre l’une de l’autre dans le droit mais que, au fil du temps, la responsabilité civile tend à s’effacer au profit de la responsabilité pénale par pénétration des objectifs répressifs et préventifs dans son domaine. Autrement dit, l’augmentation massive des produits d’assurance en tous genres couplés au fantasme « de tout sécuriser » et tout prévoir (se prémunir de) vide toujours un peu plus la dimension de son contenu pour finalement la faire glisser d’une éthique primordiale vers une dimension purement technique, juridique et contractuelle. J’ai, pour me protéger de moi-même en cas de déresponsabilisation, un ensemble de produits et services assurantiels qui, même s’ils me seront facturés plus, m’évitent d’avoir à réparer entièrement ma faute…matériellement en tout cas car, pour ce qui est du « cas de conscience », heureusement, il n’existe pas encore d’offres pour ça !

Alors, comment redéployer la responsabilité dans l’entreprise ?

Il est toujours temps d’agir « sur » l’entreprise, car c’est un système vivant qui cherchera à progresser si les intentions sont comprises. Pour autant, la bascule dont on parle ici n’est pas qu’un effet poudre-aux-yeux ! Il s’agit de commencer à partager réellement le Pouvoir, de distribuer les responsabilités, de faire vivre ou revivre la Confiance, de la distribuer partout. De façon plus philosophique, il faut comprendre que ces vertus ont toutes pour source initiale, pour matrice, pour mère la Liberté. Sans cette liberté, énergie fondamentale de l’émancipation, la transformation ne durera pas et n’ira donc pas à son terme. Les nouvelles générations sont très sensibles à leur liberté d’agir, de penser, d’entreprendre et savent très bien que le prix de la liberté est la responsabilité… peut-être finalement plus que les générations plus anciennes qui ont été parfois très orientées par ses politiques de centralisation épuisantes et démotivantes. Re-sponsabiliser chacune et chacun est possible en desserrant l’étau du contrôle et en retirant les nombreuses « polices d’assurance » qui finalement vident l’acte quotidien de ses effets, de son énergie, de son sens. Il s’agit de redonner envie aux personnes d’assumer, d’aller au bout, de prendre des décisions… et parfois de se tromper, de faire des erreurs. Charles Pépin nous rappelle dans son ouvrage Les Vertus de l’échec combien une difficulté, une erreur, un échec sont autant d’éléments d’apprentissage fondamentaux et nécessaires pour progresser. L’erreur, dit-il, est une « résistance de la réalité » qui nous rappelle avec humilité que nous ne sommes pas « tout-puissants » …c’est presque une hygiène nécessaire. Nous voyons donc un véritable travail pour l’entreprise d’accompagner le management à « manager par l’erreur » pour stimuler les prises de responsabilité.

(Notre prochain webinaire sera par ailleurs dédié à cette thématique : L’erreur, La pépite du leader)

webinaire "L'erreur la pépite du leader" Pour redonner envie de « prendre ses responsabilités », l’entreprise doit aussi rouvrir des espaces d’autonomie dans l’action, en intégrant toute la chaine de valeur (de l’idée à sa mise en œuvre) et en remettant la subsidiarité au cœur des métiers et périmètres comme un élément objectif de l’action et, des limites de la responsabilité de l’autre. Il faut enfin continuer de changer profondément les modèles de management qui infantilisent dans une verticalité pesante et irréversible pour laisser place à force des dynamiques sociales dans les équipes comme l’explique parfaitement Hans Jonas dans son ouvrage Le principe Responsabilité ; « Mais de tels phénomènes de solidarité […] relèvent sans doute d’une autre page de l’éthique et du sentiment ; et le véritable objet de la responsabilité est ici en fin de compte la réussite de l’entreprise collective. » En attendant, Rendez-vous le 20 octobre à 14h30 pour notre prochain webinaire : "L'erreur, la pépite du leader" A bientôt… Pierre EGIDO